vendredi 10 août 2012

[Livre] "L'Ecume des Jours" de Boris Vian


"L'Ecume des Jours" de Boris Vian
Editions Livre de Poche


En quelques mots : Colin est un jeune homme riche et heureux, il vient de rencontrer Chloé. Chick son meilleur ami, est fan de Jean Sol Patre, il collectionne tout ce qu’il peut se rapporter à lui et il fréquente Alise, grâce à qui Colin a rencontré Chloé. Nicolas est le cousin de Chloé et aussi le cuisinier de Colin… Ils vivent tous dans un monde où le doublezon est la monnaie d'échange et où l'absurde a du sens...
  • En deux mots :   métaphore & société
  • En une question : Aimer est ce le début de la fin?

SPOILERS ALERTES 
Difficile de donner son avis sur ce livre sans dévoiler quelques éléments, mais il me semble que je ne  devrais pas trop vous gâcher la lecture...


Prochainement adapté par Michel Gondry au cinéma, j’ai voulu relire « L’Ecume des jours » de Boris Vian que j’avais lu, comme beaucoup, au collège. En général nos chers profs de français nous propose soit « L’arrache Cœur » soit « L’écume jours »… Il faut dire que Boris Vian nous offre une littérature assez unique. Lire Boris Vian c’est hésiter en permanence entre ennui, folie et second degré plein de sens. Il mêle comme personne la vérité dans le burlesque et le ridicule. Un art délicat empreint de poésie.

Basé sur une société décalée et un peu (beaucoup) loufoque, "L'Ecume des jours" nous montre un monde où  absurde et liberté défilent en alternance au fil des pages. Un monde où l'argent compte mais où les actes n'ont que peu d'insidence. Chacun fait absolument ce qu'il veut. Un monde où les médicaments sont des fleurs, où les nuages servent de moyen de transport, où  les souris parlent, où un piano devient roi du cocktail ! Un monde où la musique, le blues et le jazz sont les bases mêmes des choses et des gens, mais surtout pour Colin, fan de Duke Ellington. Comme cette musique un peu folle et triste et parfois complètement barré que peut-être le Jazz, Boris Vian nous compte une histoire qui l’est tout autant. La société dépeinte est maudite. Comme l'écume d'une vague, le monde de Colin part se fracasser contre le sable/destin. Le travail, l’esclavage, l’argent, la police, l’église, la maladie, la mort, les excès sont sources de malheur.

Le seul élément heureux pourrait être l’amour et pourtant il est ici l’élément déclencheur du malheur de Colin. Ce qui devrait être le début du bonheur devient le début du malheur. Tout se met à se dégrader. Mais toujours ici de manière poétique et folle. Son amour tombe malade, sa maison rétrécie et perd en lumière, riche de doublezons par milliers, il dépense des fortunes en médicaments pour Chloé... Il se débat comme il peut, avec ses armes. Pour gagner sa vie, ou plutôt soigner l'amour de sa vie, Colin alterne les travails les plus fous. Il couve des balles, surveille les voleurs, il doit annoncer les malheurs avec un jour d’avance... Est ce que cela sera suffisant?

Le thème de l'amour sous toutes ses formes et du malheur qu'il peut entrainer est le thème majeur à mon sens de ce roman qui dénonce tout autant une société individualiste où tout va vite, qu'un extrémisme ou  qu'une la fatalité que l'on ne peut stopper. Dans des scènes parfois grotesques, absurdes et incensées.

Le pathétique devient tragique. Mais le burelesque devient sens aussi. Boris Vian mêle habillement le fantastique et le ridicule tout en lui donnant du sens pour le peu que l’on se demande si derrière ses mots il n’y avait pas une métaphore de plus. Cette société qui ne condamne pas le meutre volontaire n'est-elle pas celle aussi qui ferme les yeux devant l'horreur que peut offrir le quotidien. Rappelons que L'Ecume des Jours est sortie en 1947 où la Seconde Guerre Mondiale résonne encore...

Sincèrement, je pense que soit on aime immédiatement Boris Vian soit on le déteste profondément. Soit on le comprend dès la première lecture soit on est complètement hermétique à son monde, son univers, ses métaphores et son vocabulaire si imagé. Il tente par les mots de transformer l’horreur en beauté. De transformer les failles de la société, argent, excès et violence par des situations complètement loufoque… Il va même jusqu'à s'amuser de la langue, du français. Il joue sur les mots, les transforme, joue sur les doubles sens, prend le contre-pied de certains. Il parodie des citations. Il en invente mais leur gardant du sens : « les agents d’armes », « antiquitaire », « blocnoter »…


Entre ridicule et poésie Boris Vian nous force à l’imagination, à trouver la solution, ce qu’il sous-entend. On adhère ou pas. Je cherche encore. J’hésite encore… Mais je ne peux que reconnaître la force de son récit et son style unique.

Un livre au multiple lecture. Entre le texte brut, le second degré et les métaphores. Dans l’avant-propos d’ailleurs, Boris Vian nous dit : « Dans la vie, l’essentiel est de porter sur tout des jugements à priori. Il apparaît en effet que les masses ont tort, et les individus toujours raison. » Tout est dit... Ce n'est donc ici que mon avis à vous de vous forger le vôtre. 

Une chose est sûr l’adaptation va être compliqué et je devine les critiques de certains d’ici… Mais je suis d’un autre côté confiante en Gondry et dans le casting qu’il a choisi. J’ai pu d’ailleurs relire le livre avec ce casting en tête et  je dois dire qu’il est  idéal. Rendez-vous en 2013, quand les mots prendront vie en image….

6/10
« L’Ecume des jours » est un livre à l’univers complètement fou et burlesque. Soit on aime beaucoup soit on déteste profondément. Si l’on arrive à aller au-delà du 1er degré et voir tout ce qu’il dénonce avec beaucoup de poésie, on ne peut qu’être sous le charme des mots de Boris Vian. Une lecture au 1er degré n’en fera qu’une histoire complètement absurde.


Morceaux choisis / Citations :

« Ne me remercie pas, dit Colin. Cee qui m’intéresse, ce n’est pas le bonheur de tous les hommes, c’est celui de chacun. »
« Alise regarda Colin avec tendresse. Il était si gentil qu’on voyait ses pensées, bleues et mauves, s’agiter dans les veines de ses mains fines. »
« Ce que je veux dire, c’est qu’ils travaillent pour vivre au lieu de travailler à construire des machines qui les feraient vivre sans travailler. »
« Patre s’était levé et présentait au public des échantillons de vomi empaillé. »
« Il n’était plus tenaillé par l’inquiétude de ces derniers jours et se sentait le cœur en forme d’orange. »
« Le professeur tourna le bouton. La lumière s’enfuit de la pièce en un torrent clair qui disparut sous la porte et dans un trou d’aération disposé au dessus de la machine et l’écran s’éclaira peu à peu. »
« C’est exactement le goût du blues, dit il, de ce blues là-même. »
 « Les livres étaient classés par ordre alphabétique mais le marchand ne savait pas bien l’alphabet »
« Le plus clair de mon temps, dit Colin, je le passe à l’obscurcir. »
« On se rappelle beaucoup mieux les bons moments, alors à quoi servent les mauvais ? »
« - Vous n’aimez pas le travail ? dit l’antiquitaire
-       c’est horrible, dit Colin. Ca rabaisse l’homme au rang de la machine. »
« Il montait des tas de marches, il était très mal reçu. On lui lançait à la tête des objets lourds et blessants, et des mots durs et pointus. »
« Je devrais vous conseiller de vous adresser à Dieu, mais j’ai peur que pour une si faible somme ce ne soit contre indiqué de le déranger. »

Adapté au cinéma par Michel Gondry la sortie est prévue en 2013
avec Romain Duris, Audrey Tautou, Gad Elmaleh et Omar Sy
Quelques images ici


A noter qu'il a déjà été adapté en 1968 par Charles Belmont
avec Jacques Perrin, Marie-France Pisier, Sami Frey, Alexandra Stewart, Annie Buron, Bernard Fresson.
Je n'ai pas encore réussi à dénicher cette édition :(

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