mercredi 10 avril 2013

[Livre] "L'histoire de Pi" de Yann Martel

Dédicacé par Mr Ang Lee


"L'Histoire de Pi" de Yann Martel 
Chez Folio

En quelques mots : Pi quitte l'Inde qui l'a vu grandir à bord d'un paquebot avec ses parents et son grand-frère. Son père directeur de zoo à Pondichery quitte le pays pour le Canada. Famille et animaux revendus embarquent alors pour démarrer une nouvelle vie mais une tempête va changer leur vie à tout jamais...

  • en 2 mots : aventure & soutien
  • en 1 question : sauver l'autre est-ce se sauver soi-même?

SPOILERS MININMUM


J'ai voulu lire le livre avant de voir le film, mais par manque de temps je n'avais finalement lu que les 50 premières pages, à peu près... Comme j'ai bien fait !!!!!
Mon avis sur le livre est à découvrir en bas de ce billet.

J'ai donc lu "L'histoire de Pi" de Yann Martel en ayant vu "L'odysée de Pi" et je suis RAVIE de l'avoir fait dans ce sens. Et en même temps je pense que le travail d'Ang Lee est d'autant plus remarquable quand on a lu le livre.... Là où Ang Lee se fait poète, Yann Martell se fait journaliste et nous conte une histoire bouleversante, celle d'un jeune homme qui a du survivre au milieu de l'océan pacifique pendant plus de 8 mois... avec un tigre du Bengale à bord....

L’histoire débute tout comme le film, par une rencontre à l’Indian Cofee House, la rencontre entre un vieil homme et un auteur en voyage. La rencontre qui va changer la vie de cet auteur et aussi un peu la nôtre... 

L'histoire est fluide, l'intrigue bien amenée, on suit Yann Martel dans sa quête et ses refléxions en même temps que nous suivons l'histoire de Pi évoqué au départ par ce vieil homme rencontré au café. Puis par Pi lui même que l'auteur aura su retrouver... L'histoire d'un homme qui a survécu au naufrage du paquebot qui devait l'emmener avec toute sa famille vivre au Canada. Seul survivant, il a du partager sa barque avec un tigre du Bengale pendant 8 mois. Comment est ce possible? Cela parait fou... Et pourtant Yann Martel nous pousse à croire l'incroyable, l'impensable. Mais surtout nous pousse à nous dire : "mais pourquoi pas?"...

A la lecture du livre, j'ai bien sûr quelques images du film en tête et je note bien ici et là quelques différences... Comme la première rencontre de Parker et Pi dans le zoo de Pondichery... Ici dans le livre, l'auteur prend le temps de faire le tour du zoo avec le père de Pi, Pi et son grand frère.
Un tour pour nous présenter tous les animaux et nous expliquer la dangerosité de chacun. Passage que nous retrouvons dans le générique de début du film où Ang Lee fait le tour de la faune et de la flore du zoo, mais sans les explications des règles qui les régissent... Il y a donc dans le livre tous les animaux du film et de la barque : tigres, hyenes, chimpanzés, tous sauf le zèbre. Chacun ont un côté dangereux. Sans exception.

Une présentation et une analyse de l’univers d'un zoo et des animaux proche de « we bought a zoo ».
« Les animaux ne se sauvent pas pour aller vers un lieu mais plutôt pour fuir un lieu. ». Ils protègent ce qu’ils connaissent, ils n’attaquent pas. C'est ici une mise en place en douceur de la compréhension de Pi (et la nôtre) pour les animaux que l'on découvre dans la suite de l'histoire et de son aventure personnelle. Le livre prend le temps de nous expliquer les choses et nous guider vers une compréhension plus grande de la psychologie de Pi face aux événements qu'il va vivre.

Ici, le livre alterne pour mon plus grand bonheur les points de vue : Pi qui raconte son histoire, Pi qui se souvient de chose annexe à son histoire et l’auteur qui commente l’attitude et la narration de Pi. Une multivision de l'histoire qui pourtant n'altère pourtant jamais la nôtre et ne complique jamais en rien le récit. Bien au contraire.

"L'histoire de Pi" commence lorsque la famille Patel embarque sur le paquebot japonais le 21/06/77 : le Tsim Tsum. Ici l'histoire n'est pas chronologique comme peut l'être le film mais cela ne gêne en rien la fluidité du récit. Juste qu'elle ménage peut-être un peu moins le suspens. On sait ici que son odysée se déroule du 02 /07/77, jour du naufrage du bateau, jusqu'au 14/02/78... Fou...

Les chapitres naviguent donc entre passé et présent, ils sont à la fois délicieux et bouleversants. La gymnastique du passage entre différentes époques est belle et facile à faire... Elle permet également un peu de repos dans un récit d'une histoire incroyable... Mais cela permet aussi de redonner du rythme a un récit qui peut être un peu long. 8 mois à bord d'une barque au milieu de l'océan il peut se passer de longue journée sans "rien" et pourtant on se rend compte que chaque journée est un combat. Chaque journée a sa propre routine mais surtout son propre rythme pour ne pas devenir fou...

Le livre ne repose pas sur le suspens du « sont-ils vivants », mais sur "comment a-t-il survécu?". Une histoire qui devient au fil des pages plus un témoignage qu'une histoire. Un livre que l'on découvre page à page, mot à mot, complètement plongé dans l'aventure de Pi... Mais c'est aussi un livre que l'on garde en tête des jours et des semaines. Un livre qui bouscule nos croyances et qui nous pousse aussi à la réflexion... Que ferions nous en situation de survie? est ce la vie est plus forte que toutes les pires pensées? est ce qu'il faut croire en quelque chose qui nous dépasse pour pouvoir aller de l'avant? est ce que dans l'entraide et l'aide à l'autre réside l'espoir? Est ce que apprivoiser l'autre, c'est aussi s'apprivoiser soi-même? Est ce que l'on se découvre forcément à travers l'autre? par les autres? pour les autres?

La relation entre Pi et le tigre, Richard Parker est finalement ici peut-être encore plus bouleversante que le film même. Mais peut-être est ce parce que j'ai vu le film? comment savoir?... On sent encore plus ici que c'est Parker qui le pousse à survivre en le maintenant en vie lui. Il lui occupe l’esprit et surtout le coupe de sa solitude, de son chagrin et de ses peurs.

Pi est un jeune homme de 17 ans ingénieux, profondément rationnel et optimiste, il voit toujours le verre à moitié plein à chaque situation. On découvre les listes qu'il fait de son inventaire, ses plans pour survivre. On découvre les astuces du guide de survie trouvé sur le bateau. On vit l'aventure avec lui, presque à côté de lui. On sent le vent, le calme, le sel sur la peau. L'odeur horrible du bateau, le goût de la chair crue... On croit entendre Parker feuler... Yann Martel a un sens de la description fort et captivant...
D'ailleurs, certaines scènes décritent dans le livre sont insoutenables à lire.  La survie prime mais comme je ne suis pas en mode survie c’est la nausée qui prime souvent. Un passage m'a littéralement soulevé le cœur d’horreur. J’ai tout comme Pi eu le même dégout, la même nausée, la même peur, qui me faisait presque sauter des mots comme je me cacherais des images qui défilent au cinéma. Je suis comme Pi spectatrice et appeurée de ce qu’il se passe devant lui. Des mots que j’avais envie d’ignorer de ne surtout pas lire. Que j'ai lu la grimace et le dégoût aux lèvres.

Mais lire "l'histoire de Pi" c'est aussi découvrir un autre mode de pensée, une autre religion, d'autres voies possibles... Il n'y avait que Pi pour vivre cette aventure... Pi qui vient d'un autre monde où les religions et les croyances se côtoient. D'ailleurs, chez Pi adulte les dieux et les religions se mêlent d’une pièce à l’autre. Jesus côtoie Shiva…

Il y a parfois quelques passages un peu long mais cela met bien en place la personnalité de Pi et son esprit ouvert. Et son imagination et sa perception de l’univers et de l’ordre des choses.

Côté différence entre le livre et le film, il y a en finalement assez peu ou en tout cas de moindre importance. Le livre est bien sûr beaucoup plus (trop?) dans le détail. On aborde beaucoup plus les sentiments de Pi, ses phases d'espoir et de désespoir. Sa faim et ses peurs... Et certains passages sont même inexistants dans le film mais comme je le disais plus haut terriblement difficile à lire.

[DEBUT Spoilers] différences livre et film

- dans le livre on attaque directement par Pi dans la tempête sur sa barque qui appelle Richard Parker  le rejoindre. Il appelle Richard à le rejoindre alors que dans le film on se souvient qu'il le découvre en pleine mer après la tempête. Dans le film il cherche bien à le sauver mais bien plus tard...
- ici les parents font cabine séparée. 
- le paquebot coule lors d'une petite tempête alors que dans le film c'est une grosse tempête.
- Pi dans le livre se lie avec une tortue de mer qui vient le voir et disparaît ensuite en mer.
- la toile du bateau est ici orange et tendue jusqu’au milieu du bateau.
- l’hyene est encore vivant après avoir tué l’orang outang alors qu'il est censé, dans le film, mourir très rapidement.
- ici Pi rencontre un requin tigre. Il mange du requin et des tortues… pas du tout dans le film.
- il croise ici un pétrolier qui les frôle. Dans le film le pétrolier reste au loin.
- alors qu'il est aveugle à cause de la faim et de la déshydratation, il croise un autre bateau. Richard Parker mange l’autre naufragé et Pi un peu aussi en désespoir et bien trop affamé.
- on sait que Pi a pu récupérer son journal de bord...
- petit incohérence Pi se rend compte que Richard est encore là au bout de 2 jours ½ alors qu'il est censé l'avoir sauvé?... 

[FIN Spoilers] différences livre et film

Enfin pour finir, une chose m'a vraiment marqué tout au fil de ma lecture... L'incroyable émotion qui se dégage de ce roman. Comment douter que tout cela n'est pas vraiment arrivé? Comment imaginer que l'auteur est inventé tout cela? C'est une des premières fois que cela me marque autant. A tel point que même après avoir pourtant recherché sur un moteur de recherche très connu, si Piscine Molitor Patel existait, je me demande encore si tout cela est fiction ou histoire vraie ? La frontière est floue et aujourd’hui je ne sais toujours pas. Je n’arrive toujours pas à savoir si c’est une histoire vraie ou un roman ? Comment imaginer ça ? tous ses détails ? Ses rebondissements ?

Et puis surtout, mon avis final sur toute cette histoire alterne encore plus à la lecture du livre. Est ce une fable, est ce vrai? L'auteur tout comme Ang Lee ne prend pas partie pour une version plus qu'une autre. Mais il y a ici bien trop de détails pour ne pas devenir fou et vouloir croire aux animaux... Mais en même temps et si ? et pourquoi pas ? Croire en l’impossible ? J'ai finalement profondément envie de croire en Parker... Et vous?

7/10
En bref : La force du récit est là. Une Odysée incroyable au sens propre comme au figuré. Une histoire belle et horrible à la fois. Une rencontre improbable entre l'homme et l'animal qui se rejoignent devant l'adversité. L'un et l'autre poussant l'autre à tour de rôle. Un livre qui déclenche aussi bien la nausée que les larmes... Un livre qui bouleverse et dont on referme les pages avec une vision de l'homme et du tigre qui ne sera peut-être plus jamais la même... Lire le livre et voir le film... Ou ne juste voir que le film... Merci Ang Lee.


Morceaux choisis / Citation :
« Dans un zoo, nos faisons pour les animaux, ce que nous avons fait pour nous-mêmes, les humains, en construisant nos maisons : nous approchons dans un espaces restreint ce qui dans la nature est éloigné. (…) Une maison est un territoire comprimé où nos besoins fondamentaux peuvent-être satisfaits tout près et en sécurité(… ) »
 « Le zoo de Pontichéry n’existe plus. Ses fosses ont été remplies, les cages ont été démontées. Je l’explore maintenant dans le seul espace qui lui reste, ma mémoire. »
 « Il est bien vrai que ceux qu’on rencontre peuvent nous marquer à un tel point que nous ne sommes plus pareils ensuite, même notre nom peut en être changé. »
« Et c’est ainsi, dans cette lettre grecque qui a l’allure d’un abri au toit de tôle ondulée, dans ce nombre indéfinissable et irrationnel grâce auquel les scientifiques tentent de comprendre l’univers, je trouvai mon refuge. »
 « Choisir la doute comme philosophie de vie, c’est comme choisir l’immobilité comme mode de transport. »
 « Tout ce qui est vivant sait se défendre, quelle que soit sa taille. »
« La mémoire est un océan et il flotte à sa surface. J’ai peur qu’il ne veuille s’arrêter. Mais il veut me raconter son histoire. Il continue. Après toutes ces années, Richard Parker continue de hanter son esprit. »
« (…) les hindous dans leur aptitude à l’amour sont les chrétiens sans cheveux, tout comme les musulmans, par la façon dont ils voient Dieu en tout, sont des hindous barbus et les chrétiens, dans leur dévotion à Dieu, des musulmans à chapeau. »
« Que Vishnu me garde, que Allah me protège, que Jésus me sauve, je ne peux pas supporter cela !... »
« J’avais sur mon bateau de sauvetage, toussant, haletant, à moitié noyé, tremblant, trempé, un tigre du Bengale adulte de 3 ans. » 
« J’étais seul, orphelin au milieu du Pacifique, suspendu à une rame, un tigre adulte devant moi, des requins sous moi, au centre d’une violente tempête. »
« Un sentiment prit vie en moi avec les tout premiers rayons de lumière ; l’espoir. » 
« Penser cela, aligner ces mots dans mon esprit, c’était déjà une source d’espoir. L’espoir se nourrissait de l’espoir. »
« Je dois dire un mot sur la peur. C’est le seul adversaire réel de la vie. Il n’y a que la peur qui puisse vaincre la vie. C’est une ennemie habile et perfide, et je le sais bien. Elle n’a aucune décence, ne respecte ni lois ni conventions, ne manifeste aucune clémence. Elle attaque votre point le plus faible, qu’elle trouve avec une facilité déconcertante. » 
« Et alors ceci m’est venu :  Plan numéro 7 : le garder en vie. »
« l’ignorance est le pire médecin, tandis que le repos et le sommeil sont les meilleurs infirmiers. » 
« l’eau verte est moins profonde que l’eau bleue. » 
« Aussi longtemps qu’il n’y a pas de perte excessive d’eau par la transpiration, le corps peut survivre jusqu’à 14 jours sans. Si vous avez soif, sucez un bouton. »
« J’appris que l’horizon, vu d’une hauteur d’un mètre cinquante par un jour clair, était à quatre kilomètres. »
« Je ne comptais ni les jours ni les semaines ni les mois. Le temps est une illusion qui nous essouffle, rien d’autres. J’ai survécu parce que j’ai oublié jusqu’à la notion de temps. »
« Ce qui est élevé abaisse, et ce qui est bas élève. »
« Quelle terrible chose que de bâcler un adieu. Je suis une personne qui croit en la façon de faire, dans l’harmonie de l’ordonnance du monde et des êtres. » 
« Il est important dans la vie de clore les choses comme il faut. Ce n’est qu’à ce moment là qu’on peut se détacher de quelque chose. Sans cela, ils vous reste des mots qu’il aurait fallu dire, mais que vous n’avez jamais prononcés, et votre cœur est lourd de regrets. »
 « Cet adieu raté me blesse encore aujourd’hui. » 
« (…) nous voulons nous en tenir aux faits, the straights facts, comme on dit en anglais.
-       est ce que le recours aux mots pour raconter quelque chose – que ce soit en anglais ou en japonais. Ce n’est pas déjà une sorte d’invention ? Est-ce que le fait de regarder ce monde n’est pas déjà un peu une invention ?
- heu….

- le monde n’est pas seulement ce qu’il est.
C’est aussi ce que nous en comprenons, non ?

Et en comprenant quelque chose, nous lui ajoutons quelque chose, n’est-ce pas ? Est-ce que cela ne fait pas de la vie une histoire ? » 
« Alors dites moi, puisqu’il n’y aucune différence quant aux faits, en ce qui vous concerne, et que vous ne pouvez apporter aucune preuve dans un sens ou dans l’autre, quelle histoire préférez vous ? Quelle est la meilleure histoire, l’histoire avec des animaux ou l’histoire sans animaux ? »

[BONUS ANECDOTE ] : 
Ce sont les parents de Yann Martel, tous deux traducteurs de métier, qui ont effectué la traduction française de l'ouvrage.


Adapté au cinéma par Ang Lee "L'Odysée de Pi"

Mon avis en bref : Une superbe adaptation qui ne garde QUE le meilleur et qui pointe admirablement les deux héros du livre : Pi et Richard Parker. Un film bouleversant qui vous laisse les yeux pleins de larmes, le cœur débordant et des questions pleins la tête. Une aventure incroyable et magique qui bouscule nos croyances illustrée par une poésie visuelle rare, une bande son idéale et un casting épatant. Un film qui laisse une envie énorme de faire un énorme câlin à Richard Parker, Pi, Ang Lee et Yann Martel pour cette histoire que l’on souhaite finalement revoir et revivre au plus vite. Je suis plutôt anti 3D mais là, je vous interdis de le découvrir autrement…

Mon avis complet ici : http://noaetsonmonde.blogspot.fr/2012/12/cinema-lodysee-de-pi-dang-lee.html

3 commentaires:

  1. C'est assez drôle car moi j'ai lu le livre avant de voir le film, et j'ai préféré le livre :-) on préfère souvent ce qu'on a vu en 1er

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    1. Pas toujours mais en majorité je suis d'accord. Ici je ne suis vraiment pas certaine de ca, j'aurais appréhendé les scènes violentes de réalisme... Flipette je suis :)

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  2. J'ai lu le livre il y a des années quand il est paru. J'aime énormément Yann Martel, tant comme écrivain que comme personnalité. C'est lui qui a envoyé chaque semaine un livre à notre Premier Ministre pendant des mois et des mois...
    Bref, Histoire de Pi fait partie de mes lectures marquantes à vie. J'avais adoré et ça m'a longtemps remué. Je voulais relire le livre avant de voir le film, mais je n'en ai pas eu le temps. J'avais un peu peur de cette adaptation, mais j'ai adoré. Visuellement, c'est quelque chose. En plus de conserver tout l'aspect philosophique, ce qui en fait un film assez lent. Mais j'ai aimé les deux. Pour moi, ces deux oeuvres sont complémentaires.

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