vendredi 8 novembre 2013

[Livre] « Quand nous serons frère et soeur » de Sophie Adriansen



« Quand nous serons frère et soeur » de Sophie Adriansen
Chez Myriapode

En quelques mots : Louisa est orpheline. Sa mère est morte et elle n'a jamais connu son père... Un jour, elle reçoit un courrier qui lui annonce que son père est mort, mais qui l'informe aussi qu'elle a un frère... 

  • En deux mots : famille & rencontre
  • En une question : Les ombres sont parfois pire que des tombes ?

SPOILERS MINIMUM


Je suis allée vers ce roman, car j'avais déjà lu la belle biographie sur Louis de Funès par Sophie Adriansen  et j'avais beaucoup aimé son style, très clair, fluide et empli d'émotion. Ici à nouveau, dans "Quand nous serons frère et soeur", je suis épatée par la légèreté qu'elle donne à son récit sans en enlever sa densité et encore moins son émotion. Lire ce roman c'est relever des centaines de passages qui poussent à la réflexion où l'on se dit "mais oui", "comme c'est malin", "tiens, mais c'est vrai"...

Mais lire ce roman c'est surtout bien sûr partir à la rencontre de Louisa, qui se découvre à plus de 30 ans, via l'héritage de son père qu'elle n'a jamais connu, un demi frère : Matthias.

Sophie Adriansen nous décrit au fil des pages, cette rencontre et l'apprivoisement de l'un et de l'autre, parsemé de moments forts pourtant extérieurement anodins qui peuvent nous marquer et bouleverser notre vie. Le tout avec avec beaucoup de subtilité et de délicatesse, mais aussi beaucoup de sincérité. On vit avec Louisa ses cheminements et évolutions intérieurs, ses doutes, ses craintes et ses pensées. Mais attention, ici on partage, on ne le vit pas à sa place... C'est subtil certes, mais non moins vrai.

On réfléchit en même temps qu'elle, lorsqu'elle évoque le fait que l'on s’imagine souvent des scénarios qui se concrétise la plupart du temps tout autrement... On sourit lorsqu'elle souligne les surprises que réserve la vie. Car Louisa contre toute attente se découvre un frère et en plus un frère avec qui elle va devoir vivre un mois pour pouvoir toucher son héritage. Et franchement rencontrer Matthias c'est faire une sacrée rencontre...

Louisa a la trentaine, elle est métis, elle n'a jamais connu son père, sa mère est morte il y a quelques années et elle passe tout son temps à son travail, dans la télécommunication à Paris. Un jour, elle va recevoir ce courrier qui va changer sa vie. Et d'ailleurs, je crois que l'’annonce du décès de ce père qu’elle n’a pas connu est peut-être le passage du livre qui m'a le plus bouleversée. Elle est déchirante. Pas d’émotions mais du manque qu'elle connait.

Matthias lui est ce que l'on appelle un vieux garçon, il vit à la campagne, il ne travaille pas et vit une petite vie qui lui convient très bien. Silencieux et solitaire, il va accueillir cette soeur tombée du ciel qui vient pourtant bouleverser son quotidien...

Vivre la rencontre de Matthias et Louisa, c'est s’interroger sur des réflexions que les personnages se font. Comme celle de Matthias lorsqu'il demande à Louisa ce qu’elle fait dans la vie ou lorsque Louisa regarde les passants de l’aéroport et réalise qu'il existe ceux qui semblaient savoir où aller mais n’étaient perdus dans la vie, ceux qui voulaient juste partir, ceux qui faisaient demi tour, ceux qui rentrent, ceux qui partent, ceux qui viennent juste voir les avions passer.
Combien de fois n'ai-je pas inventé des vies qui passent près de moi...

Je souris tendrement également lorsqu'elle évoque les mots laissés dans les agendas à la fin de l'année scolaire. Toujours délicieux de découvrir les mots laissés d'un amour sur un papier au hasard, d’un parent que l’on aime tant. D’un auteur dont l’on aime déjà les mots et qui cette fois seront pour nous.  On  a toujours le cœur qui bat un peu plus fort. On recule parfois l'échéance, on savoure et on lit… Attentivement, toujours…

Je souris franchement également lorsque l'auteure évoque le carnet de Louisa où elle note les phrases de ses lectures et qu’elle se remémore à la fin du livre. Je vois que je ne suis pas la seule à le faire !

« C’est le pouvoir des grandes phrases, le pouvoir de la littérature, que de conserver un sens inouï, différent mais pas moins puissant, une fois sorties de leur contexte. »

Et puis elle évoque aussi comment en un instant, une information supplémentaire change la perception d’une chose. Qu’est ce qui nous attire vers un livre ? la perception que l’on en a avant, pendant et après lecture…C'est assez fou et c'est bien de s'y attarder un peu...

Lire ce livre c'est s'arrêter sur des anecdotes et des faits anodins du quotidien qui nous interpelle ou nous ont déjà interpelés. Retrouver des émotions, des ressentis, des sensations... C'est trouver des points communs ou peut être avoir des révélations... C'est avoir envie de relever de nombreux passages. Et surtout ne pas avoir envie de quitter Matthias et Louisa...

Malin d'ailleurs, Sophie Adriansen note au travers de Louisa et Matthias, les détails qui forment les souvenirs, une odeur, un bruit quotidien, des habitudes. Ce que l’on note sans s’en apercevoir. Matthias et ses roulées, la quiétude de Longeac, Louisa et ses réflexions...
Une lecture aussi qui m'a un peu fait penser aux livres de Serge Joncour et surtout "Combien de fois je t'aime"qui pointe les rapports entre les êtres humains. J'y ai surtout pensé lorsqu'elle évoque au travers de ses personnages notre rapport au téléphone.  « Des heures de conversation, des promesses de solitude rompue, de proximité défiant toutes les distances, des messages courts pour dire beaucoup, des moyens simples pour ne plus prendre a peine d’écrire des lettres ou concevoir des invitations, pour ne plus prendre la peine de se voir parfois, auxquels les gens étaient accros et le resteraient tant que l’on parviendrait à garder secrète la vérité sur les ravages de toutes ces ondes sur la nature en général et sur l’homme, utilisateur volontaire et enthousiaste, cobaye obstiné et consentant, en particulier. »

Un livre donc sur les rencontres, les croyances, les ignorances, l’espoir, la complicité, les silences qui disent plus que des mots. Les liens entre les hommes et la famille. La perception différente des situations et des gens pour le peu que l'on s'y attarde un peu...

Un livre qu'il est bien agréable de lire et surtout bien agréable de découvrir lentement en prenant le temps de se poser nous aussi les vraies questions... Parce qu'il n'est jamais trop tard pour s'interroger, prendre le temps et comme le dit le livre, jamais trop tard pour "se découvrir une famille".
Et puis surtout parce qu’il n’est jamais trop tard pour TOUT !

Un livre à l’histoire simple, un témoignage, un rappel que la vie est ce que nous en faisons et comme le dit Matthias il n’y a de choix à faire que pour ce que sera demain.

Et puis c'est aussi tourner la dernière page et découvrir que le titre bien plus délicat qu’il n’y parait de prime abord. « Quand nous serons frère et sœur », il ne suffit pas de le dire pour l’être... A ce sujet la dédicace de Matthias à Louisa m'a bouleversé, les mots sont si précieux et si forts. Des simples mots qui sous-entendent tellement plus. Je vous laisse les découvrir...


En bref : Un roman délicat et sensible sur l'histoire d'un frère et d'une soeur qui se découvre adulte. Un roman qui fait le point sur les liens du sang qui ne sont pas toujours facile à découvrir. L'histoire d'un homme simple et silencieux face à une femme dynamique et sincère qui trimbale chacun à leurs manières leur passé qui n'ont de commun qu'un père absent... Un roman qui nous rappelle qui n'est définitivement jamais trop tard...


Morceaux choisis / Citations :

« Depuis quand n’avait elle pas sauté de joie en reconnaissant une écriture sur une enveloppe ? »
« Quand elle était plus jeune, soit elle les déchirait fébrilement pour lire leur contenu très vite, comme si il s’agissait de ne pas vivre un instant de plus sans la présence à ses côtés du signataire de la lettre dont la prose se faisait l’intermédiaire, soit elle réservait pour plus tard, comme un cadeau précieux, pour jouir le plus longtemps possible de l’idée qu’elle avait de belles choses à y découvrir et surtout que quelqu’un, ailleurs, avait pensé à elle et couché des mots sur le papier à son unique attention. »
 « Parce qu’ainsi elle aurait la preuve qu’elle avait eu un père puisque celui-ci démontrerait qu’il avait vécu en cessant de le faire. »
« De l’annonce de la mort de son père, comme de ses funérailles, Louisa avait été privée. Elle se sentait volée et c’est un vol irrémédiable ; un vol sans voleur. »
 « En l’espace d’une demi-seconde, un individu sans visage venait de lui communiquer deux informations capitales mais aussi à mille lieues l’une de l’autre, à tel point que la seconde avait effacé la première. Votre frère et vous. »
« (…) elle évoquait à la fois le passé, le présent et l’avenir. Le passé, parce qu’elle induisait des choix, des études (ou l’absence d’études), des facilités ou des difficultés financières pour y parvenir, une vocation, un aboutissement, une décision par défaut, un rythme, des contraintes ; le présent, parce qu’elle était une composante de l’identité (…) Et tout cela mis bout à bout ne formait-il pas, au bout du compte, une représentation fidèle de la façon dont on menait sa vie ? »
 « En l’espace d’un instant, l’ouvrage avait gagné en valeur, il était sorti du lot ; ca n’était plus seulement un élément de la pile sur la commode, au coin de la cheminée. »
« Simplement, tout devenait autre, par moment, pour qui changeait d’angle, pour qui savait regarder. »
 « Sa mère lui avait toujours répété que le monde se devisait en deux catégories, ceux pour qui les différences étaient des obstacles infranchissables et les autres. » 
« Mais ce qu’elle ne pouvait concevoir, en revanche, c’était le sentiment de perdre sa mère quand celle-ci demeurait bien vivante. Les ombres sont parfois pires que des tombes, se rappela t’elle ! » 
« - la journée passera pas plus vite ni moins vite parce que tu cours, ajouta Matthias. » 
« Comme dit la chanson, le temps perdu n’se rattrape plus, commença Matthias après qu’il eut laissé le silence s’étirer dans la pièce, de long en large, de bas en haut, seulement entrecoupé par le battement d’ailes d’un insecte pris dans le verre soufflé de l’abat-jour. Par contre, l’avenir, on en fait c’qu’on veut. »
« La fin d’un début ». 
« Malgré tout, chacun mesurait ce qu’avoir tous les choix pouvait signifier de différent en fonction des individus. Rien qu’entre un frère et une sœur, l’étendue de cette différence était incommensurable. »
« … Mais à deux, on oublie les ombres. Merci à toi, belle brune, d’avoir chassé de ton soleil celles qui m’entourent. »

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